Au cours de cette dernière décennie, plusieurs initiatives ont été prises au Maroc par différents établissements financiers en vue de lutter contre l’exclusion financière et permettre ainsi aux populations mal desservies de bénéficier d’un ensemble de services bancaires.
Désormais considéré comme un moteur incontournable de croissance économique, le digital est assimilé à un levier d’accélération de l’inclusion financière.
Finances News Hebdo s’est entretenu avec Hakima El Alami, responsable du département Surveillance des systèmes et moyens de paiement et inclusion financière au sein de Bank Al-Maghrib.
Propos recueillis par M. Ait Ouaanna
- Finances News Hebdo : Pierre angulaire du développement, l’inclusion financière est un combat à l’échelle mondiale. Où en est le secteur bancaire national ?
Hakima El Alami : Le Maroc a fait des progrès significatifs en termes d’inclusion financière. Toutefois, l’analyse des données à l’échelle nationale et les expériences internationales montrent qu’il reste des marges importantes. Par exemple, l’urbain est mieux servi que le rural. Et, justement, la Stratégie nationale d’inclusion financière vise à faire face au gap entre le rural et l’urbain, la femme et l’homme ainsi que les jeunes et les adultes. Cette stratégie est innovante dans sa conception et dans sa gouvernance et elle se base sur deux principaux piliers : premièrement, faire en sorte que les offres bancaires classiques soient plus inclusives et, deuxièmement, aller vers des modèles un peu plus innovants que le modèle classique actuel, tout en exploitant les outils dont nous disposons pour aller vers une offre adaptée aux besoins des segments les plus vulnérables. Nous avons d’ailleurs un groupe de travail -Offre bancaire dont la mission principale est d’examiner tous les freins existants, notamment la crainte d’aller vers les banques, avec un intérêt particulier pour le rural qui reste très peu servi, et bien sûr une réflexion autour de la femme. Pour faire face à ces freins et en vue de pousser plus loin l’inclusion financière, un certain nombre de réformes réglementaires est mis en place par le régulateur. Il s’agit notamment de la revue du crédit bureau et de la loi sur le crédit bureau, la mise en place des outils de financement supplémentaires au profit de catégories précitées, etc.
F.N.H. : Selon la deuxième édition du rapport annuel de la Stratégie nationale d’inclusion financière (SNIF), la digitalisation de l’écosystème national des paiements représente un accélérateur de l’inclusion financière. Comment le digital peut-il contribuer à une meilleure finance inclusive au Maroc ?
H.E.A. : Les modèles alternatifs comprennent en l’occurrence le paiement mobile, qui consiste essentiellement en l’ouverture de comptes et l’accès au «m-wallet». Actuellement, l’ouverture d’un compte bancaire peut se faire de manière digitalisée de bout en bout, à savoir de l’embarquement du client jusqu’aux cas d’usage comme le paiement, le transfert de compte à compte, le paiement au niveau des différents commerçants acceptants, etc. Par conséquent, cela permet d’enlever la barrière de l’absence d’agences bancaires classiques ou d’établissements de paiement dans les zones les plus reculées. Il suffit d’avoir un accès à Internet pour pouvoir bénéficier des services bancaires basiques. Le moyen de paiement mis par les banques et les établissements de paiement (EP) à la disposition des clients est abordable, parce qu’il est gratuit au départ. Il en est de même pour l’ouverture de compte dans les établissements de paiement. De ce fait, le moyen de paiement digitalisé permet également d’avoir cette accessibilité rapide pour les zones les plus reculées. Le réseau de distribution est également favorable pour promouvoir l’e-commerce.
N.H. : Quelles sont les actions mises en place par Bank AlMaghrib pour accélérer la digitalisation du secteur bancaire ?
H.E.A. : Il s’agit surtout de la levée d’un certain nombre de barrières réglementaires, notamment celles qui étaient fixées pour embarquer les commerçants, particulièrement les commerçants de proximité, la publication de circulaires qui encadrent l’ouverture de compte, etc. La loi sur les nouveaux modèles de financement est sortie, comme à titre d’exemple le crowdfunding. Nous travaillons également sur la microfinance et la façon d’offrir cette microfinance, qui va aussi s’appuyer sur des réseaux complètement digitalisés. En effet, BAM a procédé à :
1/ Mobilisation de l’écosystème pour l’adoption d’incitations fiscales pour les commerçants acceptant le paiement mobile, notamment l’exonération fiscale totale de la base imposable, pour les commerçants de proximité, sur le chiffre d’affaires réalisé par téléphonie mobile ;
2/ Développement d’une stratégie de communication pour accompagner le déploiement du paiement mobile et lancement d’actions de vulgarisation et d’éducation financière diffusées via différents canaux : campagne radio et réseaux sociaux ;
3/ Prise de mesures spécifiques pour faire face à la crise sanitaire Covid-19.
Il s’agit notamment de la simplification de l’ouverture des comptes bancaires et de paiement, l’allégement des conditions d’enrôlement des commerçants et l’amélioration de la tarification. 4/ Coordination avec les autorités publiques pour accélérer la dématérialisation des aides sociales. Dans ce cadre, en partenariat avec les départements ministériels concernés, Bank Al-Maghrib et le Groupement d’intérêt économique du paiement mobile Maroc ont lancé une expérience pilote sur la digitalisation du paiement du programme «TAYSSIR» en s’appuyant sur le paiement mobile. Cette opération s’est déroulée au niveau des quatre sites pilotes (Fès, Meknès, Benguerir et Azilal) et sera généralisée au niveau national. 5/ Publication de deux circulaires N° 1/W/2022 et N° 2/W/2022 portant respectivement sur l’élargissement du champ des agents de paiement aux non commerçants et le déplafonnement des comptes de paiement commerçant sur les flux générés par transactions de paiement mobile domestique; Tous ces efforts ont été accompagnés par le lancement de la plateforme nationale permettant l’identification et l’authentification des usagers des services numériques, sur la base de la carte nationale d’identité électronique (CNIE) mise en place par la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN).
N.H. : Au Maroc, une partie non négligeable des citoyens éprouve des difficultés face au numérique. Quelles sont les mesures qui devraient être mises en œuvre par les établissements bancaires pour favoriser la montée en compétences digitales de leurs clients ?
H.E.A. : Au niveau de la Banque centrale, nous pilotons l’éducation digitale, c’est-à-dire que nous faisons en sorte de développer les compétences des populations pour pouvoir faire un choix rationnel concernant les services bancaires et financiers. L’éducation digitale va permettre aussi d’apprécier les risques tels que les fraudes ou encore les cyberattaques… Il existe quelques pratiques très simples à faire pour se prémunir contre un certain nombre de menaces, et c’est l’objet fondamental de cette éducation digitale. Dans ce cadre-là et de la protection des consommateurs, nous amenons les établissements bancaires et les établissements de paiement à mettre en place des mesures à destination de leurs consommateurs, et d’adopter une communication adaptée sur une base régulière qui dépend d’un certain nombre d’aspects qui touchent l’éducation digitale du consommateur. Ajoutons à cela les mesures mises en place par le gouvernement pour communiquer à grande échelle avec le consommateur final ou le citoyen.